dimanche 1 décembre 2019

Michel Viau: de petits récits dans la Grande Histoire

Yves Bergeras dans Le Droit.


Pour sa 16e édition, qui se tient à la Maison du citoyen samedi et dimanche, le Rendez-Vous de la BD de Gatineau (RVBDG) a décidé de mettre en vitrine les scénaristes du Neuvième art, plutôt que ses dessinateurs.

Dans cette optique, quoi de plus logique, pour le RVBDG, que d’accueillir Michel Viau, fin connaisseur de la BD québécoise, et régulièrement cité en tant qu’historien ou directeur de collection.

Normal, puisqu’il a signé depuis 1999 une série d’ouvrages spécialisés, dont BDQ, Histoire de la bande-dessinée au Québec, tome 1, érudit ouvrage consacré à la période pré-années 80, et paru en 2014.

Couverture de Caroline Mérola

On lui doit aussi la brique Les années CROC, publiée par Québec-Amérique en 2013.

C’est oublier que Michel Viau a fait ses premiers pas scénaristiques dans les années 2000 — pour le magazine Safarir, dont il a été rédacteur en chef.

Et qu’il a récemment remis sa plume au service de la BD. D’abord, sous l’angle de la fiction, avec MacGuffin — une série d’espionnage humoristique campée à l’époque de l’Expo 67 — dont le premier volet est paru l’an dernier et le second il y a tout juste quelques semaines.


Puis, sous un angle documentaire et réaliste, em signant L’Affaire Delorme, récit d’une enquête policière et d’un retentissant procès qui secoua le Québec au début des année 20. Ce roman graphique est d’ailleurs en lice au Prix BD des collégiens.


Cette année, il a donc fait paraître deux BD. Et ce n’est que le sommet de l’iceberg, car il a des scénarios, terminés ou en cours d’écriture, plein ses cartons...

Ces temsp-ci, il « travaille en parallèle sur deux BD », tout en parachevant la rédaction du tome 2 de Histoire de la bande-dessinée au Québec. Comme il constate que « la BD est devenue très populaire » au Québec ces dix dernières années, il aimerait aussi rééditer le premier tome, « épuisé depuis longtemps ».

« J’aurais quelques corrections à apporter. Et des précisions à ajouter ». Car à force de fouiller les archives, Michel Viau découvre régulièrement des BD parues dans des « journaux ou magazines obscurs, comme la revue Hebdo le jeudi, éditée en 1941, et dont j’ignorais totalement l’existence » jusqu’à tout récemment, illustre-t-il.


Série documentaire

En réalité, les scénarios de ces deux BD à paraître sont déjà complétés, et dans les mains de dessinateur. Sa prochaine BD, qui portera sur le criminel Richard Blass, alimentera la « collection sur les histoires criminelles et judicaires au Québec », entamée avec L’Affaire Delorme (Glénat Québec).

Ce récit sur Blass devrait paraître au mois d’avril et sera illustré — en noir et blanc — par Jocelyn Bonnier, à qui l’on doit le justicier masqué L’Ocelot et la récente adaptation en BD de L’idiot de Dostoievsky.


Leur BD explorera le milieu de la pègre des années 60 et 70 au Québec : « une époque assez étonnante» et « hyper violente », a-t-il découvert au fil de ses recherches.

« Montréal était la deuxième ville la plus criminalisée [d’Amérique du Nord] après New York. Il n’y avait pas de cartes de crédit ou de débit, il y avait donc de l’argent partout : dans les banques, dans les épiceries, dans les bars. [...] 

Et Montréal était marqué par une guerre de gangs, qui se disputaient les différents secteurs de la ville. La pègre italienne était déjà installée, même si «on ne l’appelait pas encore la mafia, mais la bande du centre». 

Elle se coltinait tant avec les anglophones qu’avec les francophones, quant à eux connus sous le nom de «la bande du Nord, qui était celle de Blass». Lequel a d’aileurs côtoyé Jacques Mesrine lors de la cavale canadienne du bandit français, mentionne M. Viau.

Grégoire Mabit, qui a illustré L’Affaire Delorme, reprendra le flambeau en offrant à cette série historique et documentaire un troisième titre.


Rigueur historique

Tous ses albums ont en commun un détail flagrant : un cadre historique précis. Et copieusement documenté. «L’histoire du Québec est riche de faits peu connus. C’est plein d’anecdotes et c’est très peu exploité, je trouve», estime Michel Viau.

De 2009 à 2012, l’homme était directeur de collections BD (une petite dizaine) de 400 Coups, éditeur pour lequel il a dirigé «40 albums en trois ans»

Il a ensuite brièvement travaillé avec Glénat Québec, où il a supervisé trois albums à saveur très historique : le diptyque Hochelaga et Ville-Marie et le tout récent L’espion de Trop de Voro.


Michel Viau ne prend aucune liberté avec la véracité historique... même lorsqu’il scénarise les rocambolesques aventures des agents MacGuffin et Allan Smithee. Pour cette série, «je suis parti de faits historiques. C’était le décor, qui m’intéressait, l’architecture spectaculaire de l’époque de l’Expo67. [...] Et ce qui était fort, dans les années 60, c’était les espions ! On était en pleine guerre froide.»

Si l’employeur et les péripéties de ces deux espions sont fictives – parodiques de James Bond, des téléséries des sixties telles Des agents très spéciaux (The Man from U.N.C.L.E.) et Chapeau melon et bottes de cuir ou encore de la série BD Bruno Brazil – le décor, lui, est on ne peut plus authentique.

«C’est une comédie d’espionnage, mais le cadre historique est exact. Quand je parle de l’Expo 67 et du voyage du général De Gaulle, c’est précis et très rigoureux. [...] J’ai lu des tas de livres sur l’OAS et la guerre d’Algérie [dont les informations] sont synthétisées en une page de la BD. C’est comme un entonnoir...» 

Car son travail, c’est évidemment aussi de s’assurer que «le coté didactique ne l’emporte pas sur l’aventure».

Cette contrainte réaliste ne brime absolument pas l’imaginaire de Michel Viau : «Ça me permet de parler de la société de l’époque. Avec L’affaire Delorme, par exemple, j’ai essayé de déborder sur le contexte social.» 
Ce qu’il compte refaire bientôt avec le 3e tome de MacGuffin, quans «le tandem sera envoyé à San Francisco, pendant l’été des hippies». 

***

Décrire les scènes

Au RVBDG, Michel Viau sera cuisiné (par le bédéiste Marc Tessier) sur son travail dimanche à 11 h 30. 

Il participera aussi à une table ronde, au côté d’Alexandre Fontaine-Rousseau, samedi à 16 h, pour expliquer «Comment faire de la BD quand on ne dessine pas» — même si lui-même gribouille sufisamment bien pour soumettre à ses illustrateurs des pages de scénario déjà «très prédécoupées» en cases.

«Je décris [les scènes] pour que le dessinateur puisse travailler. Un scénariste doit voir le film dans sa tête et le découper en images. Dans mon cas, c’est assez précis. J’ai quand même un Dec en arts plastique et je dessinais un peu...» 

Il se réjouit évidemment de cette invitation. «Ça fait plaisir. C’est rare qu’on mette de l’avant les scénaristes, dans les festival. 

«Je dis souvent à mes dessinateurs : ‘Les entrevues, c’est moi [qui m’en occupe], parce que le public aime bien savoir la petite histoire derrière [l’œuvre] ; les salons, c’est vous’, parce que les amateurs, c’est normal, veulent en profiter pour obtenir un dessin, une dédicace». 

«C’est un métier méconnu, alors c’est bien, ajoute-t-il. Ce ne serait pas mauvais que les autres festivals fasse la même chose» de temps à autres.


***


Regatta DeBlanc

«J’étais scénariste avant d’être historien», se plaît à rappeller Michel Viau. Qui, lorsqu’il était rédacteur en chef de la revue Safarir«écrivait beaucoup, mais sous un pseudonyme».

Il aidait ses collaborateurs à mettre en forme leurs gags, et les puncher. Son pseudo, à l’époque ? Regatta DeBlanc.

«C’est un vieux gag, peu de gens savent pourquoi. Ça vient d’un vieil album de Police [Regatta de Blanc, paru en 1979 sur lequel] Sting fait des vocalises qui ressemblent à Viôô Viôô viôô...» Viau, en mélomane qu’il était, s’est permis ce clin d’œil.



16e Rendez-vous de la BD de Gatineau
Samedi 30 novembre et dimanche 1er décembre 2019
Maison du citoyen de Gatineau

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